Peu importe qu'ils soient connus ou importants au récit, Herzi veut d'abord partager des moments avec des gens divers, et voir passer sous l'œil de sa caméra une diversité de visages et de discours, quitte à en oublier le pourquoi de son film ou son rôle de metteuse en scène. La vie d'Hafsia C'est bien cela le problème quand on n'a rien à dire: on copie. Pâlement, sans invention, sans singularité. Avec les moyens du bord, c'est-à-dire ceux de tout le monde, les clichés prémâchés puis recrachés des dizaines de fois dans tous les formats — séries, cinéma, télé… Ainsi, Hafsia Herzi convoque dans son film tout un imaginaire lié à la télévision et en particulier la télé-réalité, que l'on peut considérer comme un format de créativité à part entière — avec ses scénarios, ses castings, son montage, ses trucages, sa mise en scène, bref tout l'appareil cinématographique réemployé à des fins commerciales et de divertissement. Tu mérites un amour regorge donc de disputes à base de cris et de répétitions agaçantes, discussions fades et sans répartie, qui font tout simplement passer le temps.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas écrit un article sur un film. Avant, c'était ma tradition du jeudi. Pas que j'ai arrêté d'en voir, quoique… c'est vrai qu'ici, j'ai moins l'occasion d'aller au ciné. Les places sont chères et il n'y a qu'un seul cinéma qui fait partie d'une grande chaîne (alors ouais bof, pas envie d'encourager ce genre de trucs). Alors même si une asso se décarcasse pour y programmer de beaux films, ça le fait moins qu'à l' Utopia de Bordeaux où avec la carte, je pouvais aller voir des tas de documentaires et de films, au moins deux fois par semaine pour 4 euros (3, 50 quand j'ai commencé). Pas non plus que je n'ai pas vu de films qui méritaient un article. Le dernier qui m'a vraiment bouleversifiée (je sais, ce mot n'existe pas) est Shéhérazade mais je ne suis pas sûre que j'aurais réussi à en dire des choses plus intelligentes que tout ce que vous avez pu lire. Mais si vous ne l'avez pas vu, allez-y parce que c'est un très très très beau film sur l'amour. Alors voilà, Tu mérites un amour n'est pas un film immense.
Car Herzi a transgressé les règles classiques de production cinématographique, en embauchant des techniciens en sortie d'école pour un tournage de quinze jours réparti sur trois mois, sans argent et sans tête d'affiche. Son geste a bien évidemment des répercutions sur sa mise en scène, quasi absente et sans véritable singularité. Si elle avoue en interview sa passion pour Pagnol, en particulier pour la précision et la poésie de ses dialogues, on est déçu de ne rien trouver de tout cela dans Tu mérites un amour: empruntant son titre à un poème de Frida Kahlo — dont elle se donne le rôle de sosie le temps d'une séance photo sous le regard attentif et pénétrant d'Anthony Bajon —, elle place son film sous le ciel de la poésie et de la violence des sentiments. Mais le film en est forcément décevant quand une telle référence sert de titre, donc de programme — peut-être est-ce pour cela qu'elle choisit de ne révéler cette filiation thématique que dans les dernières minutes du film, afin de ne pas souffrir d'une comparaison trop écrasante.
En lisant le poème de Frida Khalo "Tu mérites un amour", la comédienne Hafsia Herzi saisit un instantané profond des coeurs sentimentaux que sont les jeunes gens d'aujourd'hui. Derrière et devant la caméra, elle filme près, parle haut, réagit en direct. "Tu mérites un amour" est alors une étincelle tendue, inattendue et éblouissante,. (Coproduction ARTE)
Maison À Vendre Hoymille, 2024